Bureau

25 février - 15h

Ailean soupira. Il avait reçu cette convocation la veille et depuis, il ne cessait d'y penser. Il se demandait ce qu'il avait pu faire. Il espérait par dessus tout que son père n'en entendrai jamais parler. Il se devait d'être irréprochable, le digne héritier de la grande famille Skene. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux noirs. Ses longs doigts fins se perdirent entre les mèches de jais, se crispèrent. Au fond tout au fond, dans cette petite boite sombre où il cachait ses sentiments, il savait très bien ce que lui voulait Mr Thomas. Mais l'admettre reviendrait à faire tomber les barrières qu'il avaient érigées autour de lui et il ne pouvait se le permettre. Un ricanement désabusé lui échappa.

Ses pas l'avaient amené à destination. Il s'arrêta devant la porte, leva le poing pour toquer et manifester sa présence. Il se figea un instant, repoussa l'envie de fuir les problèmes et aller vivre en ermite au fond de la Forêt Interdite et, enfin, frappa contre le battant. Les coups résonnèrent dans le vide du couloir. Il posa une main sur la poignée froide et entra. Pas assuré, démarche arrogante, regard méprisant. Le Skene dans toute sa splendeur.

- Bonjour Monsieur.

Ton hautain, acéré. Les yeux noirs du jeune homme regardaient devant lui avec nonchalance, comme s'il n'en avait pas grand chose à faire d'être ici.

Ailean hausse un sourcil circonspect. Mais c'est quoi cet épouvantail ? D'où se permettait-il autant de familiarité avec un élève ? Surtout avec quelqu'un comme lui. Un rictus méprisant étira les lèvres fines du jeune homme. "Mon pote". Ailean n'est le pote de personne, encore moins celui d'un énergumène pareil. L’œil du Serpentard est soudain attiré par l'objet posé sur le bureau. Son cœur rate un battement. Il connait cette chose. C'est un appareil photo. Son rêve, juste là. Il frissonne. De vieux souvenirs jaillissent dans sa mémoire, ceux de son propre appareil, détruit par la rage de son père. Ailean est imperturbable. Rien ne doit ébranler sa carapace. L'objet posé sur ce bureau en fait trembler les fondations.

Que fait un prédateur qu'on menace ? Il attaque, montre les crocs. Frapper le premier pour ne pas être blessé.

- Vous êtes prof à ce que je sache. Donc certainement pas mon pote. D'autant plus que vous êtes un blaireau.

Moue méprisante. Ouais, les Poufsouffles sont les pires. Les plus faibles. Ramassis de Sang-de-Bourbes dégoulinants de gentillesse. On ne devient pas quelqu'un en aidant les gens à avancer. Il faut les écraser pour grimper toujours plus haut. Et ça, Ailean le sait mieux que quiconque.

Les remontrances du professeur le font rire. Il ne s'est pas assis, préférant toiser son professeur, les bras croisés sur le torse. On le convoque à cause de quelques geignards qui ne savent pas se taire ... quelle idiotie. Il soupira, non définitivement, il n'avait rien à faire ici.

- Ce n'est quand même pas de ma faute si ces abrutis ne savent pas encaisser quelques petites remarques. Que vont-ils devenir s'ils craquent à la moindre attaque ? Rien.

Atteindre le sommet en empilant les cadavres, triste vie que la tienne Ailean Skene.

Ailean grince des dents, il n’aime pas qu’on ne réagisse pas à ses provocations. Même un simple frémissement lui aurait suffi mais non, cet abruti reste là, à le regarder tranquillement avec ses yeux de merlan frit.

- Je vois pas pourquoi je parlerai correctement à un prof qui s’adresse à moi comme un copain de comptoir. On a pas élevé les cochons ensemble.

La mention de la coupe de quatre maisons ne fait ni chaud ni froid au jeune homme qui hausse les épaules fatalistes. Il n’est pas chauvin, peu lui importe que sa maison soit la meilleure, la plus sage, la plus studieuse, ce qui importe, c’est que lui soit le meilleur. Pour enfin avoir la paix. Cependant, il est vrai qu’il préférait éviter d’avoir à faire à son directeur de maison. Cela aurait plus de chance de remonter jusqu’à son père et il n’avait pas spécialement envie d’essuyer une énième remontrance. Ailean s’approche nonchalant et s’assoit sur la chaise qu’il lui avait montré au début. Il attrape rapidement l’appareil photo, autant pour occuper ses mains que pour … enfin en avoir un à manipuler. Ses épaules se détendent imperceptiblement. Il reporte son regard ébène sur le professeur.

- Et qu’est ce que vous me suggérez ? Que je sois doux comme un agneau ? vous voulez que je leur ouvre les portes, tienne les pages de leurs livres et vienne les border le soir ?

Pendant qu’il parle, ses doigts manipulent l’appareil avec l’aisance de celui qui sait s’en servir. Il poste la lentille à son oeil, observant son professeur à travers l’objectif. La lumière est parfaite, un peu tamisée, elle fait ressortir le visage avenant et chaleureux de Mr Thomas. Le portrait serait parfait. Le coeur d’Ailean se serre et il baisse précipitamment les bras.

- Sympa ces machins moldus … dire qu’avec tout ça, leurs photos sont toujours immobiles.

Mais tellement plus authentiques ...

Un dossier comme le sien. C'est à dire excellent du point de vue des notes mais très critique au niveau du comportement. Pour son père, tant que le premier point était valide, rien d'autre ne comptait. Il était même prêt à parier que son comportement méprisant lui serait égal, tant qu'il crachait sur les bonnes personnes. À savoir tout ce qui n'était pas sang pur sorcier. Il hausse les épaules à nouveau.

- On va voir ce qu'on peut faire.

Royal, comme d'habitude. Altier, hautain. On dirait un prince qui répond aux doléances d'un paysan. Il promet de s'en occuper mais sait très bien qu'il ne bougera pas un orteil pour arranger les choses. Autre chose à faire que de s'occuper des geignards.

Ailean ne peut que valider les dires de son professeur. Du moins, il aimerait mais si son père apprend qu'il a encore touché un appareil photo, il ne préfère pas imaginer ce qui se passerait. Il pointe à nouveau l'objectif sur son professeur, charge la pellicule. Il attend quelques instants, appuie sur le bouton. Le déclic ramène de vieux souvenirs à la mémoire du jeune homme. Il repose l'objet sur le bureau.

- On verra quelle sera la "force émotive" de ce truc quand vous développerez hein !

Sa voix se veut moqueuse mais sa carapace se craquelle. Il réalise à nouveau à quel point la photo lui manque et combien elle est importante pour lui.

Le professeur récupéra l'appareil et le posa au milieu d'autres, plus anciens. Ailean les fixa pendant un long moment, réfrénant sa curiosité. Il espérait vivement que le professeur oublie cette histoire et ne développe jamais la photo. En plus, il n'était même pas sûr de l'avoir réussie. Il passa une main lasse sur son visage, caressant ses joues creuses. La phrase du prof le fit rire, un rire jaune, ironique.

- C'est pas très compliqué ces machins-là, les Moldus sont pas des monstres de la science non plus ... Et pitié arrêtez de faire le prof cool qui garde les secrets des élèves. Je ne sais pas ce que vous attendez de moi mais je ne suis pas de ceux qui se confient en chialant au premier clampin venu parce qu'il leur a promis de garder leur pseudo secret.

Sa plus longue réplique depuis le début de la conversation et pas dénuée de fiel. Il sent que son secret est sur le point d'éclater alors il se rebiffe, se rebelle. Toutes dents dehors, le roquet s'énerve. Il pourrait partir, c'est vrai. Mr Thomas a fini ses remontrances, mais il est bien là et il se dit que plus il reste, plus il aura d'occasions de jouer avec un de ces appareils.

Le prof laisse échapper un rire et Ailean hausse un sourcil interrogateur. Il est doux, le Serpentard se sentirait presque en sécurité. Il sent que Mr Thomas tient à marquer une différence entre lui et les autres adultes et c'est vrai que si Ailean devait choisir quelqu'un vers qui se tourner - en admettant que cette situation arrive un jour, chose hautement improbable - il irait sûrement le voir lui. Ce prof est en effet proche des élèves et, même si Ailean ne cesse de le lui reprocher, il a noté cette information dans un coin de sa tête. Mais, l'arrogant n'a pas encore laissé tomber ses murailles, il hausse les épaules.

- Faites ce que vous voulez ... pas ma faute si vous avez des problèmes parce que vous êtes trop proches de vos élèves après ça.

Mr Thomas se lève, se rassoit, Ailean l'observe sans un mot, goûtant au silence léger qui s'est installé. Sa dernière phrase le fait tiquer. Il tend la main avec un sourire dénué de mépris - pour une fois - un sourire doux, passionné, Ailean l'artiste pointe le bout de son nez.

- Prêtez le moi, juste le temps de finir la pellicule alors.

Il tente en vain de gommer la note d'espoir qui perce dans sa voix. Il prend des risques, il le sait, mais c'est trop tentant.

Ailean s'attendait à devoir négocier un peu, insister et peut être renoncer, ce qui aurait mieux valut pour sa sécurité d'ailleurs. Mais non, le professeur lui confie l'appareil en lui demandant d'en prendre soin. Les yeux du Serpentard brillent et il serre l'objet contre lui. Il va le chérir comme aucun autre objet, Mr Thomas ne se rend probablement pas compte de l'importance de ce qu'il vient de faire. Une énergie nouvelle anime Ailean, il a envie de fuir tous les êtres humains de ce château et aller vider cette fichue pellicule dans les bois. Quoiqu'un ou deux portraits pourraient être intéressants. Mais il ne peut pas demander aux gens. Il se contentera de la nature.

- Ne vous en faites pas pour ça, personne ne m'attend.

Et c'est vrai. Et c'est tant mieux. Il n'y a aucune tristesse ou rancœur dans sa voix. Sa vie est ainsi, c'est tout. Il dépose précautionneusement l'appareil dans son sac, l'enveloppant dans son écharpe vert et argent.

- Merci encore Monsieur. Et, il hésite un instant, je vais essayer de faire des efforts. Je crois ...

Un léger sourire passe sur son visage comme un fantôme et le masque froid se recompose. C'est Ailean Skene qui sort de la pièce d'un pas altier, cachant dans sa sacoche un heureux secret.