Le comptoir

Demain c'est la rentrée, et je n'ai absolument aucune idée de ce à quoi je doit m'attendre. Cela fait déjà trente ans que je n'ai pas mis les pieds dans ce collège de magie, bien que je n'en paraisse que 20, et encore, mais même si ce chateau me manque, j'ai un peu peur tout de même. Je change complètement de vie, et apprendre tout ce que je sais, enfin une partie en tous cas, à des mômes qui risquent de ne rien comprendre ou pire, d'en avoir peur, ça commence à m'inquiéter tout de même.

Afin de décompresser un peu, je me décide à aller à Pré au lard ce soir, et je verrai à louer une chambre comme ça demain je serai presque sur place. Je visualise, je me concentre et me voilà tourbillonnant dans les airs, dans un craquement audible. Me voici dans le village. Tout y est calme à cette heure, beaucoup sont à table. D'ailleurs, j'ai faim. Je vois un jeune homme passer au loin et me rends compte que je suis en train de me lécher les babines. * Eh Corvinus, tu n'as pas le droit et tu le sais, tu vas culpabiliser encore après ça!*

Je ne suis que Semie-Vampire, alors je peux très bien me nourrir comme les humains normaux, à cela près que j'aime particulièrement la viande très saignante, voire même crue. Ma mère me faisait mordre des humains quand j'étais petite, mais je ne culpabilisais pas car j'étais trop petite pour les vider de leur sang et les tuer. J'ai appris plus tard que ma mère les "terminait" après que je sois montée dans ma chambre. Cette idée m'a fait beaucoup de mal et j'ai décidai d'arrêter de manger les gens. Je me contente de viande classique et d'un maximum de viande fraiche très peu cuite. Parfois quand je faibli, je passe chez le boucher pour quelques litres de sang. Je vous raconte pas comment ça s'est passé la première fois que je lui ai fait une telle demande.

Toujours est-il que ce soir jen'ai pas encore mangé et que ça commence à être gênant. Je jette un coup d'oeil autour de moi et aperçois un peu plus loin, un pub aux lumières encore allumées. Je me dirige vers celui ci et entre. Il n'y a personne, à part un poivreau qui cuve son hydromel tout au bout du bar et une femme dont je ne vois pas le visage à une table. Je m'installe au comptoir et regarde la carte sans trop prêter attention à la gérante.

* Baiser de fée - Avec de la vodka et du sirop de rose, ce cocktail saura vous rendre d'une humeur agréable et zen pour passer une bonne soirée. Avec un peu de mousse de chêne et du miel de violette, votre cœur sera en fête. Voilà qui pourrait être utile déjà! *

- Bonsoir, je vais prendre un baiser de fée et... je ne vois pas de steak, vous auriez un steak bien saignant? Même deux en fait?

La serveuse me sourit avec insistance. Je lui décroche un léger sourire par politesse. Il faut dire que je ne suis pas très engageante au premier abord, je n'aime pas parler avec des gens que je ne connais pas. J'ai horreur des lieux communs que te lancent tes connaissances que tu n'as pas revu depuis un moment, les "salut ça va?", les "quoi de neuf?" et pire que tout les "qu'est-ce que tu deviens?". Quoique, je crois que la phrase que je hais le plus, cette curiosité mal placée qu'ils ont tous, tous sauf George car il sait comment je suis, c'est l'éternel: "Et les amours??". Parfois tu as envie de leur répondre: "Est-ce que je te demande la couleur de ta petite culotte?" histoire qu'ils te lâchent avec toutes ces niaiseries.

Voilà pourquoi je n'aime pas les gens. Rencontrer des gens, c'est d'abord parler à des inconnus, qui deviennent des gens connus, que tu ne revois pas tous les jours et qui ensuite te posent ces questions si énervantes! Mais voilà, je reste polie, comme me l'a appris ma mère, aussi vieille soit-elle, elle connait les bonnes manières. Alors je lui souris gentiment. Après tout, elle a l'air gentille cette fille, et puis elle fait son boulot, elle ne serait pas amenée à être mon amie, elle dans un bar, moi dans une école.

Lorsque je lui demande des steaks, elle s'agite soudainement, je comprends pas et je ne m'en préoccupe pas vraiment. Elle me lance un "Bon choix ! Pour les steaks, ça arrive tout de suite ce ne sera plus très long...", puis elle se met à bouger en tout sens dans une espèce de chorégraphie étrange mais amusante, une sorte de ballet de cocktail, mélangeant liquides et liqueurs. Mon sourire se fait franc, elle est marrante.

Elle me sert mon verre et commence à s'éloigner, parfait, pas trop de contact, ça me convient. Puis, elle revient sur ses pas. Je la sens venir, une inconnue dans le coin c'est pas fréquent, c'est pareil dans tous les petits bleds. Il faut dire que la dernière fois que je suis venue ce devait être en 1996 avec les jumeaux Weasley pour venir chercher ce qu'il fallait à la conception de leurs dernières nouveautés. Après leur départ je n'y suis pas retournée et après le décès de Fred, j'ai clairement évité les lieux. C'est peut-être cela aussi qui me rend si morose ce soir:

- Dites moi, j'suis curieuse hein, mais vous êtes venus à Pré au Lard pour une raison ou.. Juste comme ça ?

Je regarde la jeune femme. Elle est bien curieuse dis donc! Mais je préfère ce genre de franc parlé que ceux qui sortent tout un tas de dentelles et fioritures inutiles pour tout connaitre de ta vie. J'ai rien à cacher après tout, je lui réponds en avalant un gros morceau de steak:

- Je viens en avance pour la rentrée, je suis professeure à Poudlard...

Ce steak est vraiment bon, saignant à souhait. J'ai déjà terminé mon verre, qui était très bon aussi. Mais lorsque j'annonce mon nouveau poste à la jeune femme, mon ventre se tort.
Elle se lance dans une révérence extravagante et annonce d'un ton plus qu'heureux:

- Alors comme ça, vous faites partie des nouveaux Prof ! On va s'revoir alors, moi c'est Louna, Prof de Potions à Poudlard !

Je me fige un instant. Moi qui vient tout juste de me dire qu'un effort ponctuel n'est pas une mauvaise chose, voilà qu'il va devoir être récurrent. Je viens de montrer à quelqu'un que je verrai TOUS LES JOURS que je pouvais être un minima sociable. Cela m'apprendra à faire des efforts avec les gens. "Souris un peu, on dirait que tu vas bouffer tout l'monde!" me dit souvent George. Peut-être, mais au moins on vient jamais m'ennuyer. Voilà ce que c'est d'écouter ses amis:

- Oh! Professeure de Potions? Vous êtes assez jeune non? Vous enseignez depuis longtemps?

Pas que cela m'intéresse en soit, mais elle semble vraiment très jeune. Enfin moi aussi, mais je ne le suis pas, et elle, n'est pas d'origine vampire, je peux l'assurer.

En y repensant, j'ai eu vent de nombreux départs cette année, peut-être y en a-t-il eu quelques uns l'année dernière. J'espère qu'ils ne sont pas tous engagés de la sorte. Je sais que depuis le passage de Dumbledore, qui fut directeur à mon époque, et après la guerre, les moeurs ont changé. Roxanne, la fille de George m'a bien dit: "Je crois que dans les critères d'embauche,
ils demandent un grain de folie maintenant! Tu vas devoir te montrer un peu sous ton vrai jour!"
Sous mon vrai jour... Elle est adorable Roxy mais je ne montre mon vrai jour qu'à la famille Weasley. Seules les Potter ont eu le droit à un aperçu une fois ou deux en dehors de mon cercle d'amis proches. Mais dans les mariages, quand on est à l'aise avec les mariés, on nous voit autrement.

Je souris à la jeune femme avec gentillesse. En repensant à ce genre de bons moments, je me radoucis un peu:

- Ravie de faire votre connaissance, je m'appelle Selene.

Ma question ne semble pas offusquer la jeune femme, et c'est une question que l'on ne m'a que trop posée, en particulier lorsque j'étais auror. Avec son entrain qu'elle ne semble jamais quitter elle me répond:

- Oui jeune, mais il paraît que j'suis un génie, mais juste en Potions hein... J'aime pas ce mot, génie, c'est... Enfin on dirait que j'm'y croit mais non, c'est le mot qu'on m'a sorti. C'est peu être pour ça que je fais d'aussi bon cocktails ?

Je ne peux m'empêcher de sourire, même si je ne suis pas sociable, je sais reconnaître quelqu'un qui l'est et extrêmement bavarde par dessus le marché. Je croque un peu plus dans mon dernier steak qui arrive à sa fin. Je souhaite lui répondre mais j'ai la bouche pleine alors elle continue son blabla de bavarde:

- Contente aussi mais... Vous allez enseignez quoi ? Pas le vol sur balais j'espère...

Je déglutis en évitant de justesse de m'étouffer. Vol sur balai... Je me débrouille mais suis loin d'être professionnelle dans le domaine, donc si il y a bien une matière que je ne vais pas enseigner c'est bien celle ci! J'ouvre la bouche pour lui répondre quand une jeune femme en panique entre:

- Louna ! Tu... ah... tu es là ?! Désolée de vous déranger, mais j'ai un malaise. Tu pourrais me donner quelque chose de sucré à lui faire manger, elle s'est pratiquement évanouie et elle sous ma responsabilité, alors...

J'ouvre des yeux ronds. J'ai horreur des gens qui se permettent d'intervenir en plein milieu d'une conversation. Je ne comprends pas tout, mais visiblement, une personne a fait un malaise quelque part, sous sa responsabilité à elle et elle panique. Instinctivement, j'enfourne ma main gauche dans ma poche et sors trois carré de chocolat et les lui tends:

- Toujours avoir du chocolat sur soi, toujours! Et surtout, ne jamais paniquer, ça peut être dangereux la panique! Alors calmez-vous et donnez-lui ça!

Mon ton est un peu sec, mais doux. Je ne suis pas méchante tout de même. Imaginant qu'elle va partir de suite s'occuper de sa malade, je me tourne vers ma nouvelle collègue:

- Défense contre le forces du mal...

J'ai à peine terminé de parler que la gérante réagit, je pense sans vraiment réfléchir à ce qu'elle dit, elle a l'air d'être particulièrement spontanée. Avec engouement elle s'adresse à moi avant de donner un jus d'orange supplémentaire à la jeune femme en détresse:

- Ca c'est une matière d'action ! Y vous ont recrutés comment ? Nan parce que vous avez l'air de savoir gérer les urgences..

Je fais à peine vingt ans, si je dis que je suis une ex-auror cela va soulever bien des questions,
dois-je trouver une autre excuse? Je ne pense pas. Je ne devrais pas être amenée à revoir la folle aux mille problèmes et Miss Blake va être ma collègue, elle finira certainement par savoir.
Probablement pas par moi, sauf si elle me pose la question je suppose. En fait, je ne sais pas trop. Je mange mon dernier morceau de steak, le mâche consciencieusement avant de l'avaler et de répondre.

- Pas très difficile, je suis une ancienne auror, donc oui les urgences on les gère plutôt bien dans ce métier, et parfois on est appelé pour des broutilles donc j'ai toujours un peu de chocolat,
ça suffit à en gérer pas mal finalement. Les gens s'inquiètent pour rien. et après 25 ans d'expérience ça devient plus un reflex qu'autre chose. Je pense que je vais vous reprendre un verre si c'est possible. Et vous, comment vous a-t-on embauchée ?

Après tout, elle en fera ce qu'elle voudra, j'en ai marre de me cacher, et parfois même je me dis que ça pourrais bien jouer en ma faveur face aux élèves.

La jeune excitée semble étonnée de ma réaction et, remerciant son ancienne "copine de classe", du moins je suppose, sort du petit pub qui redevient calme. Alors que je réponds à la gérante et future collègue, je vois à son air qu'elle tique sur mes paroles. J'ai parlé de mon expérience, ma longue expérience, et en effet, si l'on prend en compte que je semble n'avoir que 20 ans, 22 tout au plus, soit je suis une grosse menteuse, soit il y a un truc qui cloche. Et en effet, il y a un truc qui cloche, je ne suis pas humaine, du moins qu'en partie.

Je vois bien que la question lui brûle les lèvres. Je m'attends à un truc du genre: "25 ans d'expérience? Mais vous avez quel âge?" avec une voix presque outrée et choquée par cette révélation improbable. Je souris très légèrement, je vais devoir lui dire. Mais alors que je réfléchis à la façon de le dire sans le dire vraiment, la survoltée entre de nouveau, visiblement un peu plus calme, annonçant la fin de sa journée et commandant une classique Bièraubeurre.
J'en ai bu des litres à l'époque de ma scolarité. Alcoolisé soit disant, mais ce doit être infime, car nous n'avons jamais terminé bourrés.

La barmaid se retient donc un peu plus encore, mais je vois sa bouche s'ouvrir par instant,
comme si la question essayait à tout prix de franchir ses lèvres. Cette jeune femme n'a aucun filtre, c'est comme les mômes, elle dit ce qu'elle pense, elle ne sait pas se retenir. J'espère qu'elle fait mieux en cours par contre.

Alors que termine de s'occuper de son amie, elle s'assied sur un haut tabouret, installant ses jambes en tailleur, comme une enfant, et me regarde avec cet air inquisiteur qu'ils ont quand ils sont curieux. Un air qui ne m'inspire jamais confiance. Puis, elle saute de nouveau de son siège,
s'attelant à me préparer ma nouvelle commande, mais ne retenant plus ses paroles, comme une enfant qui, n'étant plus concentrée sur une tâche, l'omet totalement. En l’occurrence, je parle là de sa concentration à éviter de me poser la question:

- Comment ça se peut 25 ans ? J'veux dire vous êtes pas vieille, enfin vous avez pas l'air...

En effet, je n'en ai pas l'air, c'est le terme approprié. Je ne réponds pas tout de suite, parce qu'elle m'apporte mon nouveau verre. J'en profite pour boire une gorgée alors qu'elle reprend de plus belle, répondant à ma question cette fois:

- J'ai été embauchée en me présentant à une annonce, les professeurs ont beaucoup bougés à Poudlard, y'en a qu'on peur d'une nouvelle guerre magique ! Le directeur est le même qu'à mon époque et il connaissait un peu mon cursus, il pense que "Votre approche originale de la matière saura sûrement dé-complexifier les Potions pour nos jeunes élèves, et votre réputation vous précède, Miss Blake"

- Disons que je ne fais pas mon âge et qu'il y a des oreilles curieuses dans le coin. Mais entre collègues, il est des choses que vous saurez bien évidemment, dont certaines... plus délicates que d'autres disons.

Je ne sais pas trop quoi dire de plus sans éveiller de soupçons. La jeune femme à mes côtés dont j'ignore toujours l'emploi est tellement expansive que d'apprendre une telle chose à mon sujet, elle risquerait de hurler dans le pub quelque chose comme: "Quoi? Vous êtes un vampire! J'en ai jamais vu en vrai!" et ça c'est ce que je souhaite éviter à tous prix. Et puis surtout, on ne sait pas quelles sont les positions des gens, elle pourrait lancer une rumeur concernant l'école de sorcellerie, ce serait bien là ma veine!