Melinda Austin

Il était environ vingt-trois heures. Franck Austin et sa fille de sept ans contemplaient la voûte céleste depuis leur petit jardin à Blean. L'un des avantages à vivre dans un village comme celui-ci, c'était la faible pollution lumineuse. Tous deux observaient la constellation du Cygne: Deneb, Ruchba, Sadir, et la belle Albireo, étoile double dorée et bleue. Ils aperçurent même la nébuleuse de l'Amérique du Nord aux jumelles.

- Il y a tellement d'objets intéressants dans cette région, mais il nous faudrait un télescope pour les voir et ils ne sont pas tous faciles à repérer, expliqua Franck. On y trouve notamment les fameuses Dentelles du Cygne, un rémanent de supernova. Des nébuleuses planétaires également. Et des sources de rayons X.

La jeune Melinda fronça les sourcils.

- Des trous noirs ?

- Des systèmes binaires X, plus précisément. C'est-à-dire une étoile orbitant autour d'un objet compact: trou noir ou étoile à neutrons. On en trouve deux ici, Cygnus X-1, le plus connu, et V404 Cygni.

- Et... l'étoile ne se fait pas manger par le trou noir ?

- Les trous noirs ne sont pas des aspirateurs géants qui engloutissent tout, répondit Franck en souriant. Les astres peuvent graviter autour sans s'y écraser, comme n'importe quelle forme de matière identique. Il faut juste éviter de trop s'en approcher.

- Brr, j'aime pas ces trucs. J'ai pas peur de tomber dedans, non, ce qui me fait peur c'est qu'on ne peut pas les voir et qu'ils distordent le temps.

Franck sourit à nouveau devant le visage à la fois soucieux et profondément impressionné de sa fille. Melinda possédait une innocence propre à son âge mais aussi une maturité étonnante et une vive intelligence. Il était ravi que tous deux partagent un même intérêt pour ce qui se trouvait au-dessus de leur tête. Qui sait, peut-être que cela lui susciterait une vocation ?

- C'est normal que ça t'effraie un peu. Les trous noirs sont parmi les objets les plus mystérieux de l'univers. Mais regarde plutôt toutes ces étoiles à gauche de Deneb. C'est un amas ouvert. Celui-là s'appelle M39.

Il lui passa les jumelles et la fillette écarquilla les yeux derrière les oculaires. C'était un beau spectacle.

- Il est situé à huit cent vingt-cinq années-lumière de nous environ. Tu comprends ce que ça signifie ?

- Ça veut dire que sa lumière met huit cent vingt-cinq ans à nous parvenir, répondit-elle rapidement. Donc c'est très loin. Tu me l'as expliqué tout à l'heure.

- C'est juste, et que peux-tu en conclure sur M39 ? Ou plutôt sur ce que tu en vois ?

Mel rabaissa les jumelles, réfléchissant, le regard troublé.

- Je ne suis pas sûre de te suivre, là...

- Ce que je t'ai expliqué tout à l'heure, c'est que la lumière ne se déplace pas instantanément. Tu n'as pas vu cet amas tel qu'il est en ce moment-même, mais tel qu'il était...

- ...il y a huit cent vingt-cinq ans.

- En plein Moyen-Âge.

- C'est dingue !

- Plus on regarde loin dans l'espace, plus on voit loin dans le passé, conclut Franck. En cela, le ciel permet véritablement de remonter le temps.

Les grands yeux de la fillette semblèrent briller dans la pénombre. Et tous deux restèrent silencieux, côte à côte, voyageant dans le temps en un seul regard.

Les hautes portes la Grande Salle s'ouvrirent, laissant passer la longue file des premières années qui avançaient en rang. Parmi eux, une petite blonde marchait tranquillement aux côtés d'un garçon pâle comme la mort et d'une fille qui les dépassait tous les deux d'une tête. Les élèves se regroupèrent peu à peu au pied des marches menant à un petit tabouret sur lequel trônait un très vieux chapeau pointu. A la surprise des nouveaux, ce dernier s'anima et commença à chanter une sorte de comptine, inédite chaque année, présentant les valeurs et qualités défendues par chaque maison de l'école. Un tonnerre d'applaudissements s'ensuivit; puis ce fut l'heure de procéder à la Répartition.
Melinda Austin n'était pas de nature craintive et se tenait bien droite au milieu de ses camarades intimidés. Elle paraissait plus âgée que les autres avec son chignon haut. Néanmoins, la fillette espérait retrouver ses compagnon de voyage dans la maison qui l'attendait, quelle qu'elle soit. Le fait d'être répartie devant tant de monde semblait effrayant, il fallait l'avouer, mais bon, une quarantaine d'élèves défilerait après elle. On l'aura vite oubliée – à moins qu'elle trébuche dans les marches ou commette une maladresse de ce genre.
Etant en début de liste, Melinda n'attendit pas longtemps avant d'être appelée. Elle se détacha du groupe et avança calmement jusqu'au tabouret, s'assit et posa le Choixpeau magique sur sa tête. Le tissu recouvrit son champ de vision, et les visages anxieux de ses camarades éclairés à la lueur mystérieuse des bougies flottantes s'évanouirent aussitôt. C'était comme se retrouver dans un lieu imprécis, obscur, en-dehors du temps et de l'espace. Comme si Mel était entrée dans sa propre tête. Soudain, une voix désincarnée résonna à l'intérieur de son crâne.

"Oh, étrange..."

* Ça met en confiance * songea la fillette.

"Je t'entends, tu sais."

Mel s'immobilisa sur le siège. C'était particulièrement déstabilisant de parler avec un chapeau magique qui lisait dans vos pensées.

"Il y a quelque chose de singulier chez toi, reprit le Choixpeau. Je vois de l'audace, des facultés intellectuelles, de la curiosité... Et du potentiel, beaucoup de potentiel. Je t'aurais bien mise à Gryffondor, mais la maison qui te correspondra le mieux sera SERDAIGLE !"

Revenant dans le monde réel, Mel eut l'impression d'avoir passé à la fois trois secondes et un mois entier sous l'examen du Choixpeau. Les couleurs lui parurent plus vives, et les applaudissements lui vrillèrent les oreilles. Elle se dirigea vers la table des Serdaigle et fut accueillie par des poignées de main chaleureuses et de grands sourires. Satisfaite et encore un peu chamboulée, elle s'assit parmi ses nouveaux camarades pour suivre le reste de la cérémonie.