Bureau de Jerôme Donell

Après avoir reçu la convocation que lui avait envoyée l'administration du Ministère de la magie, Emily avait passé des heures à tenter de comprendre pour quelle raison elle avait été convoquée par le responsable du service des nuisibles. Sachant que Jerôme occupait ce poste, ou l'avait du moins occupé, elle en était venue à se demander si il était à l'origine de ce courrier. Après maintes réflexions, elle en était venue à la conclusion qu'il avait dû changer de travail et qu'un nouveau sorcier occupait désormais ce poste. En effet, Emily était persuadée que Jerôme aurait au moins eu la décence de lui envoyer lui-même ce courrier s'il avait eu une raison de le faire.

C'est donc presque sûre qu'elle n'allait pas avoir affaire à Jerôme Donell que la demoiselle était apparue en transplanant dans une sombre ruelle de Londres. Connaissant le chemin que se devait de suivre les visiteurs pour l'avoir plus d'une fois emprunté lorsqu'elle avait suivi le long processus pour devenir Animagus, elle pénétra dans la cabine téléphonique qu'elle ne connaissait que trop bien et entra le numéro magique sur le cadran du vieux téléphone. Une fois arrivée dans la hall du ministère, elle s'était immédiatement rendue à la réception.

Quelques sorciers se trouvant devant elle, elle attendit son tour en retirant sa longue cape noire. En dessous, elle portait une belle robe blanche à dessins noirs relativement courte ainsi que des cuissardes noires qui montaient jusqu'au-dessus de ses genoux. Pareilles chaussures procuraient à ses jambes la chaleur que sa courte robe ne pouvait pas leur fournir. Ainsi vêtue, elle avait assez chaud. Bien trop chaud même... Encore un peu, et ses mains en seraient devenues moites ! Mais pourquoi diable avait-elle soudainement si chaud ?

Pour tout vous dire, l'éventualité que Jerôme Donell n'ait en fin de compte pas changé de poste lui était revenue à l'esprit et commençait, gentiment, mais sûrement, à la faire stresser. Et si c'était lui qui l'avait convoquée ? Si elle se retrouvait face à lui, comment réagirait-elle ? Son tour étant venu de s'approcher du réceptionniste à l'air fatigué, elle n'eut pas l'occasion de se poser plus de questions. Remettant à l'homme sa lettre de convocation, il la parcourut de son regard avant de déclarer :

"Vous devez vous rendre au niveau 4, le bureau du responsable se trouve au fond à gauche. SUIVANT !"

Récupérant sa lettre, Emily n'osa même pas remercier le sorcier qui ne la regardait déjà plus. Sa cape repliée sur son avant bras gauche, elle avança vers l'ascenseur, son coeur battant à tout rompre dans sa poitrine. Arrivée au niveau 4, elle s'arrêta un instant dans le couloir pour prendre une profonde inspiration. Son calme retrouvé, elle se répéta mentalement à plusieurs reprises qu'il n'y avait que très peu de chance pour que le sorcier qui la reçoive aujourd'hui soit Jerôme Donell. A nouveau sereine, elle s'approcha de la porte du bureau où elle devait se rendre et toqua à trois reprises, réajustant une dernière fois sa chevelure rousse et, ce jour-là, lisse.

Une voix d'homme retentit derrière le panneau de bois. Elle était grave et profonde, mais Emily n'aurait pas su dire si elle appartenait à Jerôme ou à un autre sorcier. Avait-elle fini par oublier la voix de l'homme qui avait longuement occupé ses pensées ? Non, ce n'était pas ça : son incapacité à identifier cette voix était seulement due au fait que la porte était épaisse, et très certainement un peu insonorisée. Après avoir pris une dernière inspiration, la rousse posa sa main sur la poignée et abaissa cette dernière, ouvrant la porte qui lui faisait face et qui tourna sur ses gonds. Un sorcier vêtu d'une chemise bleue lui faisait face. C'était lui. C'était Jerôme. Emily se figea.

Entrant dans la pièce, elle claqua la porte derrière elle avec force et s'approcha du bureau, une certaine déception mêlée à de la colère affichée sur son visage. La rage lui allait bien, mieux que la joie, mieux encore que la tristesse. Elle lui donnait un petit air sauvage qu'on n'aurait pas cru possible d'apercevoir chez elle. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, elle se retrouvait face à Jerôme. Elle avait délaissé au passage sa cape sur le siège qui lui était destiné. Posant ses mains à plat sur le bureau, elle se pencha en avant et explosa de colère, laissant s'échapper pour la première fois depuis des semaines la fureur qu'elle avait à son égard, parlant si fort qu'elle criait presque :

"Comment osez-vous ?! Comment osez-vous me faire venir ici après ce que vous m'avez fait ?! Vous m'avez lâchement abandonnée au milieu de ce restaurant, sans même dire que vous partiez. Vous ne m'avez donné aucune explication et vous vous êtes encore moins excusé pour votre comportement des plus ignobles ! Et voilà que vous me faites venir ici, vous cachant derrière l'administration pour me convoquer ! N'avez-vous pas honte, monsieur Donell ? Vous êtes un monstre ! Un monstre qui arrange le mariage de son propre neveu, le liant à une demoiselle qu'il n'a pas choisie ! Vous n'êtes qu'un... Vous n'êtes qu'un SALAUD !"

Et sur ce, elle le gifla avec force. La rencontre de sa main avec la joue de l'homme provoqua un bruit magistral. Le visage d'Emily était couvert de larmes. Les larmes de tristesse et de déception se mélangeaient aux larmes de rage et de colère. Elle n'avait pas laissé le temps à Jerôme de dire quoique ce soit, et voilà que maintenant il avait une joue écarlate, et devant lui une jeune femme au bord de la crise de nerfs qui avait baissé la tête, pleurant en silence derrière un rideau de cheveux roux. La voix de Jerôme s'éleva. Il priait Emily de s'asseoir, mettant fin, par cette intervention, au scénario qui ne s'était pas réellement produit.

Tous ces événements n'avaient en effet eu lieu que dans la tête de la bibliothécaire. Elle, elle était toujours là, figée dans le cadre de la porte, ses yeux bleus rivés dans ceux du sorcier qui l'avait convoquée. Sa main s'était crispée sur la poignée, mais son visage ne montrait que de l'étonnement, mêlé à une pointe de tristesse et de colère. Serrant sa mâchoire, elle sortit de sa torpeur et entra dans le bureau, refermant doucement la porte derrière elle. Avançant lentement, elle s'arrêta derrière la chaise qui l'attendait. Elle n'avait pas une seule seconde détourné son regard qui était posé sur le visage de Jerôme.

Son visage à elle avait perdu toute traces de joie. Il n'y avait qu'une seule chose qui trahissait ce qu'elle ressentait : il s'agissait de ses yeux. Brillait au fond de ses pupilles un mélange de désespoir, de haine, de peine et même, si on était un peu attentif, d'amour incontrôlable. Déposant sa cape sur le dossier de la chaise, elle posa ses mains dessus, détournant pour la première fois ses yeux dans lesquels des larmes commençaient à apparaitre. Lorsqu'elle replongea son regard dans celui de Jerôme, plus aucune larme n'était visible. Elle prit la parole de sa voix mélodieuse, quoique sur un ton un peu trop faible :

"Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je préfère rester debout. J'ai cru comprendre, lors de notre dernière rencontre, qu'il était tout à fait acceptable, pour vous du moins, de mettre fin de manière impromptue à une entrevue... Il y a donc de fortes chances que je m'essaye à cet exercice aujourd'hui."

Par ces mots, elle faisait comprendre à Jerôme qu'elle ne lui avait de loin pas pardonné ses agissements : elle lui en voulait encore. Le fait qu'elle n'ait pas laissé sa colère explosé n'était due qu'à une seule chose : son respect de la hiérarchie. Elle était sûre que, si elle était là, il devait y avoir une raison autre que le fait que le brun désirait la revoir. Cependant, la haine qu'elle éprouvait envers cet homme était telle qu'elle n'avait pas pu s'empêcher de le mettre à l'épreuve et de lui montrer une certaine résistance.

Lorsque Jerôme s'excusa, Emily détourna les yeux, souriant d'une manière qui laissait bien comprendre que les excuses qu'elle venait d'entendre étaient loin d'être suffisantes. Elle étouffa même un début de rire glacial mais silencieux qui avait franchi ses lèvres entrouvertes. Secouant très légèrement sa tête de gauche à droite, elle retrouva sa neutralité approximative tout en changeant de jambe d'appui. Après une seconde de réflexion, la rousse en vint tout de même à la conclusion que le fait que le sorcier fasse ses excuses devait être un exploit à lui tout seul. En effet, elle n'aurait pas été surprise d'apprendre que c'était la première fois qu'il demandait pardon à qui que ce soit.

Rapportant son attention sur le sorcier, elle observa chaque parcelle de lui qu'elle pouvait voir. Bien que son comportement et la chose qu'elle avait apprise le concernant étaient toutes deux répugnantes, elle ne pouvait s'empêcher de le trouver magnifique. Elle se revoyait blottie contre son torse, elle sentait à nouveau ses bras l'étreindre et la prendre et, surtout, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer ses yeux dans lesquels elle savait qu'elle allait finir par se noyer si elle les fixait trop longtemps. Il venait de lui proposer une nouvelle fois de s'asseoir, décrétant qu'elle serait mieux installée sur la chaise que debout.

Après avoir pris une profonde inspiration, elle contourna le siège et prit place en face de Jerôme. Elle croisa ses jambes sous le bureau et les doigts de ses mains au-dessus. Son dos ne prenait pas appui contre le dossier de la chaise. A vrai dire, elle était assise tout au bord de celle-ci, comme si elle s'apprêtait à se lever à tout instant. Malgré la haine qu'elle ressentait à son égard, Emily ne pouvait pas s'empêcher de dévorer littéralement du regard l'homme qui lui faisait face. Brisant finalement le long silence qui s'était installé, la bibliothécaire prit la parole de sa douce voix, chuchotant presque ce qu'elle disait :

"Maintenant que je suis convenablement installée, vous pouvez me dire ce qui m'a valu une convocation dans votre bureau, monsieur le responsable du service contre les nuisibles..."

La manière dont elle avait prononcé le nom du poste occupé par Jerôme Donell laissait entrevoir une once du dégoût qu'elle avait pour lui. Comment avait-elle pu se laisser berner et ne pas voir qu'elle avait face à elle un homme assez malsain pour obliger un membre de sa propre famille à subir un mariage arrangé ?! La réponse, elle la connaissait déjà, mais elle refusait d'y croire. Posant ses mains à plat l'une sur l'autre, Emily se pencha en avant, ses cheveux longs balayant le bois du bureau, elle demanda sur un ton dont la douceur dénotait avec le contenu de ses paroles :

"Mais avant tout, puis-je avoir la confirmation que vous n'êtes pas assez stupide pour croire que de simples paroles en l'air vont me suffire et que vous savez parfaitement, Monsieur Donell, que j'attends plus de votre part que de belles paroles ?"

La rousse resta interdite face à la question de Jerôme. Ne savait-il vraiment pas ce qu'elle voulait ? Sa dernière phrase lui porta le coup de grâce, car c'était justement là ce qu'Emily lui reprochait : son manque de clarté. Serrant sa mâchoire, elle sentit la colère monter en elle. Elle montait assez vite et était assez puissante pour exploser telle une bombe ; tout comme elle avait explosé dans ses songes lorsqu'elle était arrivée dans le bureau. Ses longs cheveux raides encadraient son visage au milieu duquel ses yeux d'ordinaire si doux lançaient des éclairs. Ne se retenant plus comme elle avait su le faire jusque là, elle laissa sa rage l'emporter :

"Bien assez claires ?! Bien assez claires ?!" hurla-t-elle tout en se levant, faisant tomber au passage sa chaise derrière elle. "Vous êtes parti sans prévenir, me laissant seule au milieu de moldus sans le moindre moyen de rentrer au Château ! N'était-ce pas assez clair que j'étais incapable de transplaner ?! Vous m'avez laissée sans la moindre explication ! Je ne sais toujours pas pour quelle raison vous êtes parti ! Et maintenant vous me convoquez dans votre bureau sans prendre la peine d'écrire vous-même la lettre !!! Vous n'êtes qu'un salopard, monsieur Donell, un salopard qui marie de force son propre neveu et qui a trahi ma confiance !"

Lorsqu'elle avait crié le dernier mot, elle avait tapé du poing sur la table et, au même instant, l'encrier du responsable du service explosa, projetant de l'encre noire sur le bureau et sur la robe en grande partie blanche d'Emily. Elle n'avait pourtant pas touché à l'encrier, et n'avait pas non plus sa baguette en main, mais il fallait croire que son trop plein d'émotions avait suffi, à lui seul, à provoquer cet événement. Faisant volte-face, elle tourna le dos au sorcier, s'appuyant contre le bord du bureau et fixant de ses yeux remplis de larmes la tranche de sa main qui, en plus d'être écarlate, semblait être un peu gonflée.

Bien vite, ses larmes quittèrent ses yeux et elle fut secouée d'un sanglot silencieux, tenant contre sa poitrine sa main douloureuse. La tête légèrement baissée, Emily ne prononça pas le moindre mot de plus, ignorant totalement l'encre qui quittait goutte après goutte le bureau de bois pour s'écraser contre le sol. A force de crier, sa gorge serrée lui faisait mal. Elle peinait à respirer normalement. A vrai dire, elle avait l'impression de ne presque plus respirer, sanglotant trop fort pour y parvenir. Elle n'aurait jamais cru être capable d'insulter quiconque de la sorte, et surtout pas Jerôme Donell.

En voyant, à travers ses larmes, Jerôme se placer devant elle, Emily détourna le regard, se cachant derrière un rideau lisse de cheveux roux pour cacher à l'homme que ses joues étaient humides. Glissant sa main très lentement vers son visage, elle tenta en vain de faire disparaitre les gouttes qui ne cessaient d'être remplacées par de nouvelles larmes. Ses mains tremblaient, surtout celle qui avait violemment rencontré le bois du bureau. Après avoir réussi à se calmer un peu, elle ravala ses dernières larmes tout en écoutant la voix grave du sorcier s'élever de l'autre côté de ses cheveux. Plus il parlait et plus elle était tentée de le croire.

Tandis qu'il reprenait son souffle, elle glissa son regard sur lui, ramenant d'une main ses cheveux derrière son oreille. Elle regarda Jerôme sans mot dire, puis il reprit la parole, avouant sur un ton qui ne pouvait que le rendre crédible qu'il l'avait entre autre fait venir à lui pour la revoir. Ne répondant d'abord rien au quadragénaire qui lui faisait face, elle l'admira, s'en voulant intérieurement de tomber à nouveau sous son charme, mais ne pouvant malgré tout pas s'en empêcher. Elle avait envie de parcourir les quelques mètres qui la séparaient de lui, dans l'enlacer et de l'embrasser, mais... Elle ne le fit pas.

"Une des raisons ?" demanda-t-elle en parvenant difficilement à parler, sa gorge étant encore enrouée et un peu douloureuse. "J'imagine qu'on a dû vous dire que j'avais fait une chose vraiment grave pour vous mener vous, un homme censé me connaître, à douter de mon intégrité... Puis-je donc savoir de quoi il s'agit ?"

Ses yeux étaient encore humides, et le bout de son nez, lui, était devenu légèrement rouge, tout comme ses joues que la fureur avait teintée de cette jolie couleur qui, ma foi, lui allait fort bien. Comme si tout ce que Jerôme avait avoué n'avait pas la moindre importance face à l'information qu'Emily attendait de connaître, cette dernière ne fit pas la moindre remarque concernant le reste du discours du brun. En effet, elle était curieuse de savoir ce qui lui était reproché, mais encore plus de découvrir ce que l'homme avait cru être vrai au point de la convoquer de manière si officielle.

Emily pouvait parfaitement concevoir que le fait qu’elle ignore totalement les paroles mielleuses de son ancien amant puisse décontenancer ce dernier, mais elle refusait de lui pardonner si facilement. Bien sûr, elle aurait pu s’émerveiller devant tant d’aveux qui, il fallait bien l’avouer, semblaient être sincères, mais... Ça aurait été trop simple. Beaucoup trop simple. Et les yeux magnifiques du brun n’allaient rien y changer ! Sa voix à tomber non plus ! Et ses bras, dans lesquels elle voulait se blottir... Et son parfum... Si enivrant... Si agréable... Hum... Pardon, je m’égare ; ses bras et son parfum non plus n’allaient rien y changer, en théorie, du moins...

Le sorcier se mit à parler, affirmant qu’ils ne se connaissaient pas si bien que cela... Il n’avait pas tort sur ce point, mais en même temps, Emily était persuadée qu’il la connaissait assez pour savoir qu’elle ne ferait jamais quoi que ce soit qui puisse être répréhensible ! Se retenant de lui couper la parole, elle le laissa poursuivre, se contentant de frôler de ses doigts la tranche de sa main qui lui faisait de plus en plus mal à mesure que le temps passait. C’est alors que Jerôme avoua la raison officielle de la convocation. Comprenant, avant même qu’il le dise, de quel livre il parlait, la rousse fit un « O » avec sa bouche, sans pour autant prononcer le moindre son.

« Non, je ne suis pas en possession de ce bouquin. Par contre, je l’étais. Maintenant, il se trouve dans la réserve de la bibliothèque de Poudlard. Je suis allée l’acheter pour remplacer l’exemplaire qui a été volé avant mon entrée en fonction. J’ai fait part de cette disparition au Directeur, mais je ne vois pas ce que j’aurais pu faire de plus... »

La rousse avait parlé sur un ton calme et posé, comme... Fatigué. Elle était fatiguée par toutes les émotions qu’elle avait ressenties en si peu de temps. Fatiguée par les contradictions qui se faisaient en elle. Tout simplement fatiguée de se battre contre ce qu’elle ressentait. Tout en parlant, elle observait sa main qui devenait déjà bleue au niveau du petit doigt. Elle avait dû frapper plus fort qu’elle ne l’avait cru. Le fait qu’elle ne regardait pas Jerôme en s’exprimant lui permis d’avoir l’impression de parler à quelqu’un d’autre. Malheureusement pour elle, il fallait bien qu’elle rapporte son attention sur lui un jour ou l’autre.

« Si vous ne me croyez pas, envoyez vos hommes fouiller la réserve et le registre ; le bouquin s’y trouve aux deux endroits. » Relevant ses yeux, elle fut presque surprise de voir le brun en face d’elle. Comme revigorée par sa simple vue, elle tendit ses mains comme une condamnée qui attendait qu’on lui passe les fers et elle déclara : « Mais allez-y, arrêtez-moi pour avoir acheté un livre qui était nécessaire à un élève de septième année qui devait rendre un travail très important sur le sujet et qui avait obtenu, de la part de son professeur de soin aux cératures magiques, une autorisation pour y avoir accès ! Un livre qui, je le rappelle, était censé se trouver dans la réserve ! Un livre bien moins pire que ceux qui l’entourent sur ces étagères ! » Se décollant du bureau, elle releva ses mains toujours côte à côte presque à la hauteur de son visage et s’approcha du brun, levant ses yeux pour le regarder au-dessus de ses poings fermés. « Ça ne sera pas la première fois que vous me lierez les mains, n’est-ce pas, Jerôme ? »

Elle avait prononcé cette dernière phrase presque dans un murmure. Abandonnant l’appellation « monsieur Donell » pour appeler l’homme par son prénom, Emily faisait-là preuve d’une provocation sans pareille. Le fait qu’elle fasse référence à l’un des moments intimes qu’ils avaient passé ensemble était peut-être encore plus provocateur que son regard. Elle était désormais très proche de lui, lui lançant de manière tacite le défi de l’arrêter pour si peu. Maintenant, Emily était certaine d’une chose : Jerôme Donell ne l’avait pas faite venir pour ça. Non. Ce n’était pas possible : il savait qu’elle était bibliothécaire, donc le fait qu’elle se procure un livre auquel elle avait déjà accès en théorie n’aurait jamais dû la faire atterrir dans ce bureau.

Absorbée par les yeux clairs de l’homme, Emily l’entendit à peine lui dire qu’il la croyait. Elle savait, au fond d’elle, qu’il n’allait pas l’arrêter, mais elle n’avait pas pu s’empêcher de faire allusion à cette possibilité. Même si cela arrivait, même s’il lui passait les menottes pour la trainer devant un juge, la rousse savait qu’elle n’avait commis aucun acte répréhensible. Elle avait donc poussé le bouchon par pure provocation, manière d’agir qu’elle n’avait étonnamment qu’en présence de Jerôme.

C’est alors que l’homme s’avança et referma ses doigts sur les poignets de la bibliothécaire. Ce premier contact physique, depuis qu’il l’avait abandonnée au restaurant, eut l’effet d’un électrochoc chez la sorcière. Elle oublia tout. Elle oublia sa peine, sa rancoeur, sa rage. Elle oublia même Sam, le médicomage qu’elle voyait depuis des semaines. Il n’y avait plus que lui : Jerôme, dont les lèvres se refermèrent sur les siennes. Emily craignait que ses jambes ne se dérobent sous son poids.

Ses paupières clauses, elle ouvrit lentement ses doigts. Ses mains se trouvant de parts et d’autres de la tête du brun, elle les posa sur son visage ; ce visage qu’elle n’avait jamais cessé de percevoir dans ses rêves. Ils s’embrassèrent ainsi, comme s’ils avaient continué de se voir au cours des derniers mois et comme si tous les chagrins d’Emily n’avaient jamais existé. Les doigts de cette dernière glissèrent le long du cou de l’homme, frôlant à peine sa peau.

Après avoir agrippé le col de Jerôme pour l’embrasser avec passion, la rousse s’apprêtait à ouvrir les boutons de la chemise du sorcier, mourant d’envie de s’offrir à lui, que ce soit à même le sol ou sur le bois recouvert d’encre du bureau, mais elle stoppa son geste à l’instant même où elle mit fin au baiser. Ce qu’elle faisait là n’était pas correct envers Sam. Comment oserait-elle passer la soirée du 31 en sa compagnie après cela ?

N’osant pas regarder le brun dans les yeux, sachant que si elle le faisait elle allait succomber et qu’elle ne parviendrait plus à faire machine arrière, la rousse s’écarta de lui. Le quadragénaire allait très certainement comprendre qu’elle voulait autant de lui qu’il voulait d’elle, car personne n’embrassait quelqu’un avec tant de passion sans être attaché à l’autre. Préférant partir avant qu’il ne soit trop tard, Emily se retourna, murmurant entre ses lèvres déjà en manque de celles de Jerôme :

« Je... Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris. »

Oui, comme si c’était elle qui l’avait forcé, par ses provocations, à l’embrasser. Attrapant sa cape, elle sortit de la pièce après être passée à côté du sorcier, devant se retenir de ne pas s’enivrer du parfum si agréable qu’il dégageait. Comme s’il était pour elle une drogue, elle voulait faire demi-tour, mais sa raison et sa sagesse ne le lui permettaient pas. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne se le permettait pas ; par respect envers Sam.

HRP: